Les Cahiers du Iaidō

En guise d’introduction…

 

Technique 

Léger abus de langage dans notre propos, la technique (du grec τέχνη : Techné), étant principalement et surtout étymologiquement une « production », une fabrication matérielle, ensemble de procédés et moyens pratiques propres à une activité.

Malgré cela une technique peut aussi relever d’une manière de faire, d’un savoir-faire, d’un art, ce qui pour le coup nous parle en ce qui concerne le Iaidō.

L’apprentissage de la technique en Iaidō est une appropriation, une intégration de l’outil dans son schéma corporel, cet outil devenant une extension de son corps, de soi-même.

Voir n’est pas savoir, d’où le cheminement nécessaire d’apprentissage.

Le quoi du mouvement, le comment arrivant par la pratique.

La technique dans ce qui nous intéresse c’est une forme qui permet d’approcher l’essence.

 

Extrait d’un texte que Gilles a proposé par ailleurs….

«J’entends par technique un acte traditionnel efficace. Il faut qu’il soit traditionnel et efficace. Il n’y a pas de technique et pas de transmission s’il n’y a pas de tradition. C’est en quoi l’homme se distingue des animaux : par la transmission de ses techniques, et très probablement par leur transmission orale (…) Le corps est le premier et le plus naturel instrument de l’homme. Ou plus exactement, sans parler d’instrument, le premier et le plus naturel objet technique et en même temps moyen technique, de l’homme c’est son corps. » (Mauss, 1936/1970 : 371-72)

«Souvent, en regardant le maître-expert travailler, on ne peut s’empêcher de penser que l’on pourrait, dès la première fois, réussir. Mais si le maître ayant lu cette pensée muette dans nos yeux nous cédait sa place et que nous nous risquions à tenter cette aventure, alors on se heurterait avec embarras à un découragement que l’on n’oubliera jamais. » (…) (Bernstein, 1991/1996, p.215 ; p.184).

« (…) il faut concentrer sa pensée et sa volonté sur le « quoi » du mouvement, le « comment » va venir de lui-même.» (Bernstein, 1991/1996, p.274 ; p.234)

Travailler sur l’apprentissage du geste technique, comme le montrent ces citations, conduit à se poser un certain nombre de questions : en quoi consiste pour l’apprenant le processus d’acquisition, et corrélativement quelles sont les conditions offertes par le milieu pour que cet apprentissage ait lieu ? L’étude de « l’apprentissage en contexte » nécessite d’emblée une approche pluridisciplinaire, comme l’indiquait Mauss il y a plus de 70 ans à propos de la notion de technique du corps (Mauss, 1936/1970: p. 369).

L’étude de la motricité en contexte « naturel » et plus particulièrement celle des gestes techniques ou de l’utilisation d’outils fait rarement l’objet de collaborations entre sciences humaines et sciences de la vie. Ceci a pour conséquence des résultats le plus souvent peu satisfaisants, souffrant généralement de l’absence d’un cadre méthodologique et théorique éprouvé. Ainsi, pour les sciences de la vie, les observations ethnographiques seules ne sont en aucun cas suffisantes pour appréhender des phénomènes complexes comme celui de l’activité motrice en générale, de l’apprentissage et de l’expertise technique en particulier.

A l’inverse, cette insatisfaction n’est pas toujours comprise par les sciences humaines qui, malgré les encouragements de M. Mauss, n’ont consacré que peu de travaux aux activités motrices humaines, et moins encore à une réflexion méthodologique pourtant engagée depuis longtemps déjà (Demenÿ, 1924 ; Bernstein, 1991/1996). En outre, lorsque cette question est abordée, l’analyse reste de notre point de vue très en deçà de ce que l’on pourrait en attendre.

Un peu caricaturalement, on pourrait affirmer que les uns s’intéressent au sens des mouvements, à leur fonction, à leur signification sociale, symbolique et que les autres s’intéressent à des mouvements dénués de sens et de fonctionnalité, non soumis le plus possible aux contraintes pesant habituellement sur l’organisation des mouvements (gravité, etc.). Dans la tradition des travaux de M. Mauss (1936), A.G. Haudricourt (1987) ou A. Leroi-Gourhan (1964), l’enjeu des recherches en sciences humaines est plus de proposer des descriptions et typologies en fonction soit de l’effet produit sur l’environnement, soit de la fonction sociale, voire symbolique des gestes. A l’opposé, les physiologistes, adhérant à des principes réductionnistes, ne voient pas l’intérêt de travailler sur des situation moins contrôlées dans la mesure où les mêmes principes vaudraient aussi bien pour des tâches expérimentales impliquant un nombre restreint de degrés de liberté et des tâches de terrain beaucoup plus complexes. Or, il est peu probable que le comportement d’un système complexe ayant un très grand nombre de degrés de liberté puisse être expliqué par la somme de chacun de ses composants.

Pour résumer, l’enjeu des recherches en sciences de la vie n’est pas de traiter ces « causes finales » du mouvement mais plutôt de s’intéresser aux « causes efficientes », aux mécanismes de production et de contrôle du mouvement lui-même, sans intérêt particulier pour la tâche/activité effectuée. Au-delà des clivages disciplinaires, l’étude de l’apprentissage ne peut se dispenser de l’examen des causes efficientes puisqu’elles permettent la réalisation du but. Inversement, l’étude de l’apprentissage n’a de sens qu’en fonction d’un contexte donné et d’un but précis qui structure les comportements. En outre, la complexité du corps humain et de ses interactions avec l’environnement incite à nuancer des approches trop analytiques et réductionnistes. Les comportements complexes tels que les gestes techniques ne sont pas un assemblage des mécanismes élémentaires mis en évidence par les tâches expérimentales.